N°8. Le geste de créer

Il y a des mois où l’on avance avec certitude, porté par la cohérence d’un sujet, par l’énergie tranquille de la recherche. Et puis il y a des mois comme celui-ci, où le temps se rétracte, où l’attention se disperse. J’aurais pu repousser ce numéro, attendre d’avoir plus d’heures, plus de matière, plus de souffle.
Je ne l’ai pas fait parce que quelque chose m’a frappé en silence : si je continue d’écrire ce journal malgré les semaines trop courtes, malgré la formation qui avale mes journées, ce n’est pas par devoir, mais par un geste. Un geste simple, obstiné, presque têtu. Celui de revenir vers quelque chose qui m’échappe et pourtant me tient debout.

Créer, parfois, n’est pas une ambition, c’est une manière de rester en mouvement. Une façon de sonder ce qu’il reste en nous quand la volonté se fatigue. J’ai longtemps cru qu’il fallait une grande idée pour justifier une page, une direction stable pour oser un numéro. Mais à force de chercher, je reviens toujours au même point : avant toute forme, il y a un geste. Le premier. Celui qui dit « je suis là », même si tout autour vacille.

C’est peut-être la même chose pour la photographie. Je n’en fais presque plus, et pourtant l’idée revient, par petites secousses. Non pas l’envie de produire une image, mais celle de réentendre ce petit déclic intérieur qui précède la prise de vue, ce moment où l’on se donne une chance de regarder autrement. La foi ne naît pas du résultat, elle naît du mouvement.

Ce numéro est donc un interlude, au sens le plus simple du terme : un entre-deux. Une courte halte pour réfléchir à ce qui précède l’œuvre, ce qui la dépasse, ce qui la rend nécessaire alors même qu’elle pourrait ne pas exister. Pourquoi créer encore, malgré l’usure, malgré le doute, malgré le temps qui manque ?

Peut-être parce que ne rien créer serait pire. Parce que le geste, même minuscule, même maladroit, maintient un lien avec ce qui nous anime.
Parce qu’il nous sauve de l’immobilité.
Alors ce numéro ne cherche pas à conclure, ni à démontrer. Il tente seulement de cerner ce moment fragile où l’on continue, sans trop savoir pourquoi, mais en sachant que s’arrêter serait trahir quelque chose de plus profond que la fatigue.

Un numéro plus court, oui. Plus philosophique, sans doute.
Mais un numéro nécessaire, précisément parce qu’il naît d’un geste, et non d’un programme.

Numéro 8 : Le geste de créer